Visions et représentations du quartier de Chinatown à Paris dans les films français de l’extrême contemporain : de l’exotisme au multiculturalisme

Yue Pan / Université de Paris1 Panthéon-Sorbonne / France

 

Résumé. Cette étude examine les représentations du triangle de Choisy, le quartier reconnu comme Chinatown de Paris, dans trois films français contemporains : Augustin, roi du Kung-fu (1999), Paris, je t’aime (2006) et Made in China (2019). L’article a pour objectif de montrer le regard, qui se manifeste à travers ces films, porté par le courant dominant de la société française sur cette enclave urbaine et sur la sous-culture sino-française. Avec une analyse des images de paysage urbain du quartier, des personnages masculins occidentaux qui se présentent dans Chinatown et des personnages féminins d’origine asiatique qui habitent ici, l’article présente les représentations cinématographiques de ce Chinatown parisien à travers trois plans : sa postmodernité architecturale, sa fonction dans l’organisation sociale de Paris et son rapport avec le courant dominant de la société française. L’article fait valoir que le Chinatown parisien représente le côté multiculturel de Paris sur l’écran. Ainsi, les images de Chinatown nous permettent d’observer l’évolution du multiculturalisme dans la société française.

Mots-clés : Chinatown ; immigrés franco-asiatiques ; culture sino-française ; cinéma français ; multiculturalité

 

1. Introduction : l’incohérence entre « quartier asiatique » et « Chinatown »

Dans le film Made in China (2019), lorsque deux personnages arrivent dans le quartier du triangle de Choisy, le protagoniste français, Bruno, commente : « Que c’est grandiose, Chinatown ! » En fait, strictement parlant, bien que plusieurs zones soient administrativement reconnues comme « quartiers asiatiques », il n’y a pas d’endroit officiellement nommé « Chinatown » à Paris. Pourtant le triangle de Choisy, qui se situe dans le 13e arrondissement de Paris, est certainement reconnu comme le Chinatown de Paris dans la culture populaire. Une preuve anecdotique : dans le langage familier parisien, on dénomme l’arrêt du métro « porte de Choisy » « porte des Chinois ».

 

Figure1 : la carte du triangle de Choisy. / Wikipedia
 

Ici, une incohérence se présente : de toute évidence, la description « quartier asiatique » et le terme « Chinatown » ne font pas référence à une même idée. Le mot « Chinatown » trouve son origine dans les journaux de San Francisco des années 1850 pour décrire la zone locale où les immigrés sino-américains s’installaient. Ce sont des immigrés d’origine de cinq villages de la province du Guangdong, au sud de la Chine.[1] Donc, à l’origine, l’idée de Chinatown est claire : c’est un quartier où les immigrés chinois se logent et construisent leur vie. Mais lorsque l’on introduit ce terme en langue française pour décrire le triangle de Choisy, des ambiguïtés apparaissent sur plusieurs plans. Premièrement, sur le plan démographique, pour des raisons historiques, une grande partie des habitants du quartier sont des immigrés de l’ancienne Indochine,[2] selon les statistiques citées par Michelle Guillon dans La Localisation des Asiatiques en région parisienne.[3] Deuxièmement, sur le plan économique, beaucoup de commerces dominants du 13e arrondissement appartiennent à ces immigrés, et non aux Chinois de la Chine. Par exemple : la plus grande entreprise alimentaire asiatique qui se trouve dans ce quartier, Tang frères, a été fondée par deux entrepreneurs chinois-laotiens, les frères Bou et Bounmy Rattanavan.[4] En bref, démographiquement et économiquement, l’identité « Chinatown » de ce quartier diversifié est douteuse.

Cependant, sur le plan culturel, malgré cette diversité non-négligeable, il est vrai que le triangle de Choisy est fortement identifié comme un haut-lieu culturel chinois à Paris par deux sortes de populations : les habitants immigrés du quartier et les personnes habitant hors du quartier, disons, de façon générale, les Français de souche. Une preuve : ici, on peut non seulement trouver la librairie de You Feng, une librairie entièrement en chinois qui est aussi une maison d’édition tenue par un monsieur chinois-cambodgien, Henri Kim ; mais il y a aussi une bibliothèque municipale parisienne avec un grand nombre d’archives en chinois. La librairie représente la force d’économie ethnique, la bibliothèque municipale celle de la municipalité.[5] Ces deux forces jouent ensemble pour valoriser ce quartier comme haut-lieu de la culture chinoise à Paris, donc le « Chinatown » en terme culturel.

De ce fait, nous supposons qu’il y a une volonté de projeter l’idée de « Chinatown » sur ce quartier asiatique qui se présente sur le territoire français. Et cette volonté se manifeste en particulier par l’intermédiaire du cinéma. En effet, le triangle de Choisy est un quartier très cinématographique, d’Augustin, roi du Kung-fu (1999), Poids Léger (2004) à Made in China (2019) et Les Olympiades (2021), très récent, en passant par Tirez la langue, Mademoiselle (2013), ainsi qu’une partie de Paris, je t’aime (2006), il n’a jamais cessé d’être présent sur l’écran français contemporain en tant que Chinatown parisien.

Cet article a pour objectif d’interroger cette volonté de qualification par la société française du triangle de Choisy en « Chinatown » parisien. Cette qualification se montre dans les représentations cinématographiques. Nous nous sommes intéressés à la contribution du cinéma dans le processus de cette catégorisation. Ici, nous devons considérer trois choses : le triangle de Choisy réel, l’idée de Chinatown et le cinéma qui les reflètent. Pour mieux comprendre la position et la particularité du cinéma, nous nous permettons d’introduire une idée de Michel Foucault :

Il y a d’abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée…Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toutes civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société… ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai par opposition aux utopies, les hétérotopies ; et je crois qu’entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y aurait sans doute une sorte d’expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, après tout, c’est une utopie, puisque c’est un lieu sans lieu… mais c’est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement…  (Foucault, 2004, p. 14-15)

Nous pouvons adapter cette idée à notre étude : nous pouvons considérer le vrai quartier comme une « hétérotopie » dans le sens foucauldien, car, de toute évidence, c’est un « emplacement réel » qui a une fonction dans la société. Nous considérons l’idée de Chinatown comme une « utopie », car il s’agit d’un espace sans lieu réel qui pourtant existe dans la conscience collective. Alors les images cinématographiques de Chinatown sont un « miroir » entre ces deux espaces, l’un réel et l’autre imaginaire, mirroir qui envoie le reflet de chacun d’eux. Effectivement, le cinéma est à la fois un reflet de l’espace réel, puisque les images ont été tournées là-bas, et l’idée qu’a le public français de Chinatown, puisque les éléments présents ont été choisis et sélectionnés parmi d’autres. Ce choix et cette sélection ont été faits pour et par l’imaginaire collectif. Ainsi, avec les représentations cinématographiques de Chinatown, nous allons voir : comment les cinéastes construisent-ils un espace cinématographique de Chinatown avec les images du triangle de Choisy ? Quels sont les éléments mis en lumière dans ces films ?

Pour répondre à ces questions, nous allons nous focaliser sur les images de Chinatown parisien dans trois films : Augustin, roi du Kung-fu (1999), Paris, je t’aime (2006) et Made in China (2019). Tous les films mentionnés auparavant seront nos références, mais nous prenons ces trois films comme corpus principal. En effet, ces films mettent en avant l’altérité culturelle et sociale de Chinatown avec une narration entre des personnages locaux et des personnages hors du quartier, au lieu d’une narration simplement entre les Français, comme par exemple, dans Tirez la langue, Mademoiselle.

Nous allons étudier les représentations de paysage du Chinatown parisien, les visiteurs français qui entrent dans ce quartier, les habitantes chinoises de Chinatown qui incarnent la culture chinoise dans le regard français. Cela nous amènera à une meilleure compréhension : que signifie Chinatown pour les Français ? À quel besoin de la société française cela répond-t-il ?

2. Escalator, toits en forme de pagode et grandes tours : un ailleurs

Tout d’abord, l’accès au triangle de Choisy n’est pas très évident dans ces films. Les héros de Paris, je t’aime et de Made in China vivent exactement la même aventure en entrant dans le quartier : perdus, ils arrêtent des passants pour demander leur chemin. Ensuite, ils croisent la première frontière : la barrière linguistique. La femme à qui le protagoniste demande son chemin dans Paris, je t’aime ne comprend pas un mot de français et la passante dans Made in China parle français avec un accent qui la rend incompréhensible. Ce petit drame comique donne un signe clair aux personnages français qu’ils entrent dans un espace qui n’est pas le leur. L’interaction avec les locaux avertit les Français du fait que ce sont eux les étrangers dans cet espace.

Figure 2 : Paris, je t’aime. / © Claudie Ossard et Emmanuel Benbihy
 
Figure 3 : Made in China. / © Montauk Films, Ripley Films et TF 1 Studio
 
Figure 4 : Made in China. / © Montauk Films, Ripley Films et TF 1 Studio
 

Ensuite, les héros français trouvent leur chemin et prennent l’escalator ou l’escalier de côté pour monter sur la dalle des Olympiades, où ils se trouvent encore plus perplexes devant la vue. Ce n’est pas une coïncidence de constater que tous les réalisateurs filment cette dalle avec un plan panoramique, révélateur des contradictions essentielles de Chinatown.

Les toits en forme de pagode, faisant penser au style architectural traditionnel chinois, contrastent fortement avec les grandes tours habitées qui n’ont pas de grande identité architecturale. Au premier regard, un voyage exotique est garanti sous les toits de pagode : parmi les magasins, à part un supermarché français, il y a un salon de coiffure chinois, des restaurants avec des enseignes écrites en chinois, en vietnamien ou bilingue, même trilingue ; ensuite, nous nous sentons un peu désorientés : les tours de 32 étages évoquent certainement l’urbanité moderne, mais sommes-nous à New York ou à Shanghai ? Aucune indication nous permet de nous repérer.

Pour comprendre le paysage contradictoire sur cette vue, nous devons remonter à un grand projet d’aménagement municipal de Paris qui date des années 1970, intitulé « Italie 13 ». Pour simplifier, ce projet consiste à réaménager le 13e arrondissement ; le terrain du triangle de Choisy est évidemment concerné. Avant cet aménagement, ce terrain était l’emplacement d’anciennes usines automobiles de Panhard & Levassor dans les années 1930 ; après l’arrêt de l’activité de l’entreprise en 1967, le terrain est donc devenu une friche industrielle. Dans ce contexte, le projet a été mis en place sous la supervision de l’architecte Michel Holley, qui adhère à l’idée d’« urbanisme vertical ». Ainsi, sont nées des tours de 32 étages, avec un certain niveau de confort moderne, pour installer des habitants de classe intermédiaire. À propos des toits en forme de pagode qui ont été construits en parallèle des tours, ils n’ont rien à voir avec la culture chinoise ou asiatique. « Les pagodes sont une mode architecturale, on en trouvait beaucoup dans les stades construits à l’époque » (Besse, 2021), explique Dung Truong, architecte et habitant du quartier. Suite à la vague d’immigration de l’ancienne Indochine à partir de 1975, ce quartier, moins cher que le centre de Paris, se retrouve peuplé par cette population et par d’anciens ouvriers chinois qui travaillaient pour les usines d’automobile et n’habitaient pas loin des Olympiades, « et qui, pour des raisons professionnelles ou personnelles, ont choisi de rejoindre leur communauté Porte de Choisy » (Guillon et Taboada, 1986, p. 41). C’est ainsi qu’un véritable quartier asiatique est né.

Nous voyons donc que c’est totalement un fruit du hasard si les toits en forme de pagode abritent aujourd’hui des commerces asiatiques. Nous comprenons également pourquoi les hautes tours ne correspondent aucunement à l’idée de Chinatown car elles n’ont pas été construites pour implanter un Chinatown. Au contraire, elles étaient censées donner une image très internationale, et on leur a donné des noms de villes olympiques : « Grenoble », « Londres », « Mexico », « Rome », « Athènes » et « Tokyo », …

 
Figure 5 : Made in China. / © Montauk Films, Ripley Films et TF 1 Studio

 

Dans ce contexte, nous comprenons mieux pourquoi des cinéastes français s’intéressent à cet endroit pour des raisons complètement différentes. Certains viennent chercher l’ambiance de New York : « nous avons utilisé beaucoup de rouge et de doré pour “glamouriser” le quartier et lui donner un côté new-yorkais. » (Besse, 2021) dit Axelle Ropert, réalisatrice de Tirez la langue, Mademoiselle. D’autres considèrent que le quartier représente le côté moderne de Paris : « j’aime ce quartier qui dit la modernité de Paris » (Vely, 2021), dit Jacques Audiard en parlant de son nouveau film Les Olympiades. En fin de compte, c’est un endroit qui peut être partout et nulle part. Jacques Audiard a bien indiqué l’unicité du paysage d’ici par rapport aux autres quartiers de Paris. Mais le terme « modernité » est interrogeable. Si la modernité de Paris se manifeste dans les immeubles haussmanniens, ce paysage de Chinatown, le visage de Paris le moins parisien, représente la face postmoderne de Paris : l’Asie du Sud-Est, la Chine, la France, New York, Mexico… Les symboles hybrides que l’on retrouve partout dans le monde se croisent ici et forment un paysage de collage. En assemblant ces éléments hétéroclites dans la description du triangle de Choisy, l’identité de l’espace devient floue. Par conséquent, c’est à la fois partout et nulle part. Cependant, dans le contexte des films, en contraste avec l’espace défini comme « Paris », la déconstruction identitaire du triangle de Choisy construit son identité : ce n’est pas Paris. Donc, par rapport à Paris, c’est un ailleurs. À cet égard, retournons à l’aventure des personnages français dans Paris, Je t’aime et Made in China. Après avoir traversé la frontière linguistique nette, où arrivent-ils ? La seule chose certaine : c’est qu’ils arrivent ailleurs qu’à Paris. Nous pouvons ainsi conclure que Chinatown représente un « ailleurs » comme espace cinématographique.

3. Une issue à la vie urbaine pour les flâneurs-consommateurs

Cette compréhension nous conduit à la question suivante : à quelle recherche de la société française générale cet espace d’« ailleurs » répond-t-il ? Les films cités donnent une réponse très révélatrice à cette question.

Il est remarquable que dans ces films les héros européens qui arrivent dans ce quartier vivent souvent, soit une impasse professionnelle, soit un problème personnel. En somme, ils ont une certaine incompatibilité avec la vie moderne d’une manière ou d’une autre. Par exemple, au début d’Augustin, roi du Kung-fu, nous voyons que le héros, Augustin, est un acteur peu talentueux, chassé d’un tournage, et qui a ensuite du mal à trouver un travail. Il semble maladroit à tous les endroits où il se présente car il dit toujours quelque chose d’intempestif au lieu de se mettre dans son rôle défini par telle ou telle situation sociale ou professionnelle. De même, dans Paris, Je t’aime, le héros, Henny, un homme d’âge mûr, travaille comme démarcheur de produits capillaires, sous la pression constante de son employeur à l’autre bout du téléphone.

Cette instabilité professionnelle rend les héros marginaux dans la société française ; ils subissent toutes sortes de pression de la vie moderne urbaine. En apparence, ils arrivent dans Chinatown pour différentes raisons pratiques : Augustin a pour projet d’améliorer son Kung-fu afin de pouvoir se réinventer dans le cinéma ; Henny, tout simplement, travaille pour obtenir un bonus promis par son employeur. Cependant, au fond, une motivation commune se manifeste chez eux : ils sont à la recherche d’une sortie de la vie urbaine, du monde professionnel parisien, de son système et de la hiérarchie que ces personnages ont du mal à gérer.

En effet, Chinatown permet un décrochage de Paris. Nous voyons de belles images sur leur balade à Chinatown : Augustin, avec toutes ses affaires sur le porte-bagage arrière de son vélo, traverse les rues de Chinatown, les lumières au néon éclairent son visage ; Henny, avec son petit chariot sur la dalle des Olympiades, croise des scènes imprévues : un défilé de concours de beauté, «Miss Olympiades», des patineurs, une coiffeuse qui pratique le Kung-fu, un moine qui lui interdit d’utiliser son portable, sa source d’angoisse, … Ainsi, les héros s’imprègnent du dépaysement et de l’anachronisme du quartier, ce qui leur permet de laisser Paris derrière eux et de rêver d’une autre vie.

 

Figure 6 : Augustin, roi du Kung-fu. / © Ciné B, Les Films Alain Sarde et France 2 Cinéma

 

Figure 7 : Made in China. / Montauk Films, Ripley Films et TF 1 Studio

 

Ici, il est intéressant d’introduire l’idée de flânerie dans le sens baudelairien pour examiner les voyages à Chinatown de ces personnages, car effectivement, ils flânent dans les rues en dehors du système de production de la société dominante. Chez eux, nous pouvons reconnaître certaines caractéristiques des flâneurs parisiens du XIXe siècle, qui sont des individus « oisifs » pour lesquels « l’oisiveté est plus précieuse que le travail » (Lee, 2011, p. 123), d’après Walter Benjamin. En se baladant dans la rue et en restant passagèrement dans des cafés, des hôtels, …, ils s’opposent au système mécanique de production, ils protestent « contre le processus de production. » (Benjamin, 1979, p. 238) Cependant, ils ne sont pas des flâneurs-artistes dans le sens baudelairien qui pratiquent la flânerie pour réaliser une observation sur la société et la foule. Qui « voyage à travers le grand désert d’hommes, a un but plus élevé que celui d’un pur flâneur... il cherche ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité », comme le note Baudelaire dans son essai La Modernité. Ces protagonistes – flâneurs d’aujourd’hui – sont plutôt des flâneurs-consommateurs typiques de notre époque extrême contemporaine. Ils se déplacent dans un lieu très dépaysant tout en restant en parfaite sécurité. Ils cherchent une aventure, mais pas une aventure frappante ; ils cherchent quelque chose de différent du système de production, mais différent de façon préconçue. Ils n’arrivent pas à Chinatown pour chercher une vraie compréhension du quartier, mais pour satisfaire leur curiosité. Ceci est tout à fait possible s’ils fréquentent des espaces de consommation, que ce soit un hôtel, un salon de coiffure, une boutique de cadeaux, voire même un cabinet d’acupuncture... comme nous voyons dans les films. Ils entrent seulement dans le Chinatown qui répond à leurs attentes, le Chinatown prêt pour accueillir des clients. Ce décalage entre ces héros flâneurs-consommateurs et les flâneurs-artistes dans le sens du XIXe siècle révèle le fait que l’imaginaire essentiel de « Chinatown » est un produit culturel pour ces consommateurs européens. La réalité du triangle de Choisy n’a pas beaucoup d’importance pour eux. Sous la pression constante du système de production, effectivement, ils ont envie de partir « ailleurs ». Ce dont ils ont besoin, c’est un « Chinatown » qui se situe en dehors du système mécanique, pour traîner, pour sortir. Cet ailleurs est destiné à être différent, mais pas trop choquant.

Ironiquement, cette évasion de la vie moderne fait partie de la vie moderne. On a besoin d’un Chinatown comme étant l’« ailleurs » que l’on projette sur le triangle de Choisy, justement parce que l’on vit dans un Paris haussmannien, assez systématisé et rationalisé, et que l’on a besoin de quelque chose de différent. Cet « ailleurs » complète le système de production moderne. Le Chinatown du triangle de Choisy est un donc une nécessité pour Paris. Si bien que l’on s’y sent à la fois ailleurs et chez soi.

Ainsi voyons-nous cette fonction importante du quartier de Chinatown pour les visiteurs européens : il se prête à la flânerie et permet d’échapper à la hiérarchie et aux obligations imposées par la vie moderne, dans les lumières éblouissantes des lanternes et des néons. En même temps, cette aventure se vit en toute sécurité, car ce sont tous les espaces de consommation définis.

4. « Miss Chinatown »

Il est remarquable que dans tous nos films étudiés, tous les personnages non-asiatiques qui entrent dans Chinatown de l’extérieur sont masculins. En parallèle, il y a un rôle féminin d’origine asiatique, habitante du quartier, qui fait entrer le héros occidental, personnage masculin, à Chinatown. Dans Augustin, roi du Kung-fu, ce rôle féminin est Dr. Lin, interprété par Maggie Cheung ; dans Paris, je t’aime, c’est le rôle de la coiffeuse, Madame Li ; et dans Made in China, ce rôle est tenu par Lisa, une femme médecin franco-chinoise.

 

Figure 9 : Augustin, roi du Kung-fu. / Ciné B, Les Films Alain Sarde et France 2 Cinéma

 

Figure 10 : Made in China. / Montauk Films, Ripley Films et TF 1 Studio

 

Figure 11 : Paris, je t’aime. / Claudie Ossard et Emmanuel Benbihy

 

Ces héroïnes partagent beaucoup de caractéristiques identiques : en général, nous pouvons dire qu’elles doivent être suffisamment chinoises, en même temps savoir valoriser des caractéristiques chinoises de manière occidentale pour pouvoir enfin être qualifiées d’ambassadrices.

Pour aborder cela de façon explicite, nous nous permettons d’introduire l’idée de concours de beauté « Miss Chinatown » pour faire une comparaison. Dans Paris, je t’aime, il y a cette scène sur un concours de beauté « Miss Olympiades » dont la représentation semble absurde : une affiche manuscrite, un défilé de qipao[6] sur un banc, aucun spectateur… Cependant, l’idée de « Miss Chinatown » est tout à fait réaliste. « Miss Chinatown USA » aux États-Unis, « Miss China Europe » sont des vrais concours de beauté réservés aux jeunes femmes d’origine chinoise, organisés par des associations de diaspora chinoise, visant à attirer le public chinois ainsi que non-chinois.

 

Figure 8 : Paris, je t’aime. / Claudie Ossard et Emmanuel Benbihy

 

Ce genre de concours de beauté contient toujours les mêmes éléments : défilé en maillot de bain, débat, démonstration de talent (très souvent les candidates font une démonstration d’un instrument musical chinois ou d’un art martial chinois ou d’une danse traditionnelle chinoise) et défilé habillé en qipao. En somme, cela nous permet d’observer que la beauté d’une femme chinoise dans un contexte occidental est définie par quatre critères : d’une part, la beauté physique de façon mannequin et celle de façon traditionnelle chinoise, d’autre part, l’intelligence de façon occidentale et suffisamment de connaissance sur la culture chinoise.

De ce point de vue, nous comprenons mieux les caractéristiques des héroïnes dans nos films étudiés : d’un côté, elles sont jolies, cette beauté physique est d’abord valorisée par les réactions exagérées des héros européens. Ensuite, elles doivent présenter une beauté exotique, ce qui est toujours visualisé en costume traditionnel chinois. Dans Made in China, Lisa porte un qipao bleu dans la séquence de mariage ; dans Augustin, roi du Kung-fu, Dr. Lin pratique du Kung-fu en costume chinois. Ainsi, leurs corps sont sexualisés et exotisés sur l’écran.

De l’autre côté, elles maîtrisent une technique particulière et souvent extrêmement stéréotypée et mystérieuse : Dr. Lin est acupunctrice, Madame Li pratique le Kung-fu. Cela représente leur caractère chinois. Ensuite, elles doivent savoir adapter leurs connaissances de la culture chinoise pour faire du bien aux héros. Exemples : pendant les séances d’acupuncture chez Dr. Lin, celle-ci parle de la médecine traditionnelle chinoise, voire même de la philosophie chinoise à Augustin. Elle commence par soigner son problème physique et finit par l’amener dans le monde spirituel. Le héros secondaire de Made in China, Bruno, est allergique au glutamate. Il doit se priver de toute la cuisine asiatique. Cependant, chaque fois qu’il rencontre Lisa, en commandant pour lui, elle le fait avancer, petit pas après petit pas, dans cette cuisine, ainsi que dans la culture chinoise présente derrière cette cuisine.

Une femme jolie et intelligente peut, effectivement, rendre l’aventure à Chinatown plus agréable. Mais bien sûr cela ne fonctionne que dans le regard masculin, le « male gaze ». En effet, ces films adoptent ce regard de façon flagrante sur le plan visuel et narratif. Sur le plan visuel, la beauté d’un corp féminin doit toujours être validée par un personnage masculin. Dans Made in China, avant que Lisa soit présente sur l’image, nous voyons d’abord le visage explicite de Bruno très attiré par quelque chose. Comme si sans une telle réaction, nous ne pouvions pas voir la beauté de Lisa. Vers la fin de Paris, Je t’aime, Madame Li demande à Henny s’il l’aime avec les cheveux colorés en blond. Henny répond qu’il préfère ses cheveux en noir, la couleur originale. La logique derrière cela impose que la beauté de Madame Li ne peut pas s’affirmer sans être reconnue par l’homme. Sur le plan narratif, les femmes ne sont importantes que pour leur impact sur les hommes. Grâce au Dr. Lin, Augustin a pu confirmer ce qu’il a vraiment envie de faire ; par la suite, il part en Chine. Grâce à la rencontre avec Madame Li, Henny a pu se rafraîchir. Il vient à Chinatown sous beaucoup de pression et il repart l’allure légère. Mais à part cela, les films ne s’intéressent pas à ces femmes elles-mêmes. Exactement comme ce que Budd Boetticher a noté, cité par Laura Mulvey dans son article important, Visual Pleasure and Narrative Cinema :

What counts is what the heroine provokes, or rather what she represents. She is the one, or rather the love or fear she inspires in the hero, or else the concern he feels for her, who makes him act the way he does. In herself the woman has not the slightest importance. (Mulvey, 1975)

Ainsi, nous voyons que le regard français sur ce quartier de Chinatown est non seulement français, disons, occidental, mais aussi masculin. C’est dans ce regard qu’une figure féminine physiquement attirante est créée pour incarner cet attrait de Chinatown. À travers ces héroïnes nous pouvons observer l’impression de Chinatown que le cinéma français essaie de donner au public : attirant, exotique, mais finalement tout y est bon et doux.

Il est à noter que le modèle de relation romantique entre une héroïne chinoise de Chinatown et un héros blanc occidental dans le cinéma français est complètement différent du modèle présent dans le cinéma américain. Dans le cinéma français, comme nous l’avons démontré, c’est une relation entre une guide culturelle et un voyageur curieux. Le héros entre et explore Chinatown et sa culture en suivant l’héroïne. À l’inverse de ce modèle, dans le cinéma américain contemporain, le héros fait sortir l’héroïne de Chinatown. C’est toujours interprété comme une relation entre un chevalier et une fille miséreuse. Un exemple : la narration de Now Chinatown (2000) est celle d’un héros blanc-américain qui sauve une fille chinoise coincée dans un restaurant chinois à Chinatown et obligée de travailler comme une esclave. Il libère l’héroïne en lui racontant l’esprit américain, l’idée d’individualisme, de liberté et de rébellion, ... Un autre exemple, Falling for Grace (2007), est littéralement une histoire de Cendrillon chinoise. L’héroïne sino-américaine d’origine d’une famille très pauvre à Chinatown a finalement gagné le cœur du héros blanc-américain d’origine ultra-riche. En bref, dans le cinéma américain, le héros blanc-américain joue toujours un rôle de sauveur qui sauve une pauvre Chinoise de Chinatown soit spirituellement, soit matériellement.

Cette différence entre le cinéma américain et français reflète les différentes perceptions générales sur Chinatown des deux sociétés dominantes. Pour la société américaine, l’idée de Chinatown d’aujourd’hui est toujours liée à celle du XIXe siècle, qui faisait penser à la pauvreté, aux crimes, aux gangsters, au manque d’hygiène... en contraste avec la société mainstream américaine qui représente « social advancement, assimilation, and the promise of the American Dream » (Marchetti, 1994, p. 124). Bien qu’il y ait beaucoup d’autre contenu qui s’ajoute sur l’image de Chinatown concernant l’héritage de la culture chinoise, l’esprit communautaire sino-américain, etc., il est très difficile d’enlever les premiers clichés de la pauvreté et de l’immoralité. Par rapport à cela, l’idée de Chinatown en France n’a pas cette origine. Au contraire, le quartier asiatique du triangle de Choisy est un des quartiers les plus nouveaux de Paris. Lorsque la notion de Chinatown se transfère dans le contexte social français, l’idée essentielle de « l’altérité » de la société française en général est conservée, à part cela, elle a pris des nouveaux sens. C’est pour cela que Chinatown dans le cinéma français est représenté comme très différente de la société française ; elle est mystérieuse et exotique, et pourtant aimable et sans danger.

5. Conclusion : la multiculturalité à la française

Pour conclure, nous voyons que le quartier de Chinatown est bien plus compliqué qu’un simple espace physique. Dans le cas du triangle de Choisy, c’est une enclave d’immigration asiatique implantée dans un quartier urbain construit, ensuite interprétée en « Chinatown » parisien. Dans ce processus d’interprétation, beaucoup de complexités du quartier asiatique sont simplifiées. Finalement, « Chinatown », comme une interprétation, reflète plutôt des besoins de la société parisienne au lieu de la vérité complexe de ce quartier asiatique. Le cinéma, comme un média majeur, est très révélateur de la perception de Chinatown parisien dans le regard de la société française. Nous avons choisi les films comme matériaux pour interroger les significations de Chinatown et nous avons analysé les représentations cinématographiques sur trois dimensions : le paysage, les visiteurs non-asiatiques et les habitantes du quartier.

Tout d’abord, en remettant dans son contexte social la vue panoramique de la dalle des Olympiades que les films montrent, nous avons compris la postmodernité du quartier que les images révèlent. L’architecture du Chinatown parisien est à l’origine un projet municipal d’aménagement, et ensuite, des commerces ethniques y ont trouvé leur place. Ensemble, la municipalité et l’économie ethnique ont formé ce paysage postmoderne qui évoque des lieux d’un peu partout en même temps : New York, l’Asie, Mexico…partout sauf le Paris haussmannien. C’est pour cela que ceci est un endroit qui représente « ailleurs » dans le regard parisien.

Ensuite, chez les héros, visiteurs qui entrent dans cet espace, nous reconnaissons certaines caractéristiques héritées des flâneurs parisiens du XIXe siècle : ils pratiquent la flânerie comme une évasion hors du système mécanique de production imposé par la vie moderne. Mais au lieu de chercher une observation profonde comme les flâneurs-artistes, ces flâneurs entrent seulement dans des espaces de consommation qui permettent un voyage exotique de façon préconçue. Ainsi, nous constatons que le Chinatown parisien, cet « ailleurs », est une destination pour traîner offerte à ces flâneurs-consommateurs. Pour eux, l’essence de Chinatown est un produit culturel prêt à consommer pour se changer de l’ambiance de la société mainstream tout en restant en sécurité.

Enfin, nous avons examiné les habitantes du quartier, qui jouent un rôle d’ambassadrice culturelle dans les films. Le modèle répétitif de relation entre les visiteurs masculins non-asiatique et les habitantes d’origine chinoise révèle le fait que le regard de la société française mainstream sur Chinatown est non seulement occidental mais aussi masculin. C’est pour cela que les personnages féminins dans les films étudiés portent les mêmes caractéristiques que les gagnantes de concours de beauté « Miss China Europe », par exemple. D’un côté, leur corps est regardé, apprécié et exotisé par le regard masculin occidental. De l’autre côté, elles incarnent une culture impénétrable, avec leurs techniques mystérieuses, mais elles sont aussi très aimables et savent transmettre et adapter les éléments étrangers au contexte français. Ainsi, Chinatown parisien, incarné par ces personnages féminins dans le cinéma, paraît accueillant et sécurisé tout en gardant son image mystérieuse. Pour aller plus loin dans ce sujet, nous avons fait une comparaison entre les différents modèles de romance entre un protagoniste masculin occidental et une habitante de Chinatown d’origine chinoise dans le cinéma français et le cinéma américain. Cette comparaison nous révèle que pour la société dominante américaine, les anciens stéréotypes venant du XIXe siècle persistent, Chinatown reste toujours, d’une certaine mesure, un ghetto qui fait penser à la pauvreté et aux crimes ; contrairement à cela, Chinatown parisien représente l’image nouvelle et cosmopolite de Paris qui s’inscrit dans le paysage général de Paris.

En fin de compte, avec ces films, nous pouvons constater que, sur les écrans français, le triangle de Choisy est confirmé comme le « Chinatown parisien » où on peut se détendre, rêver, pour changer d’air et de vie quotidienne. Il est représenté comme « différent », et cette altérité complète l’image d’une ville multiculturelle de Paris.

Ce point est mis en question par le film tout nouveau de Jacques Audiard, Les Olympiades. Inspiré d’une série de bande dessinée américaine, Les Intrus, le film est sorti en novembre 2021. Dans ce film sur la vie sentimentale des jeunes Parisiens et Parisiennes, le triangle de Choisy représente la jeunesse et la diversité de Paris. Contrairement aux films étudiés dans cet article, l’identité de Chinatown n’a pas été abordée dans ce film. Les identités des jeunes personnages non plus, bien que l’héroïne, Lucie Zhang, soit clairement d’origine chinoise avec la présence de sa famille totalement sinophone. Cependant, ce n’est pas une coïncidence que le film portraiture trois personnages de différentes origines, même si le film occulte cette différence. Ce n’est pas non plus par hasard que le réalisateur fait le choix de ce quartier de Paris. Rappelons qu’Audiard a dit que le quartier illustrait, à son avis, la modernité de Paris. Donc, d’un côté, le film choisit ce quartier pour sa diversité, sachant que ce choix n’à rien à voir avec la bande dessinée originale américaine, de l’autre côté, le film néglige délibérément cette question de diversité ethnique et culturelle dans la société parisienne. N’est-ce pas contradictoire ?

En effet, cette curieuse absence de question identitaire révèle, justement, le multiculturalisme à la française. À l’inverse de l’idée de « melting pot » des États-Unis, la stratégie française de gestion des relations interethniques consiste en « l’assimilation ». En termes simples, dans le premier modèle, les personnes de différentes origines sont supposées différentes. On ne considère pas les différences comme un problème, mais comme une source de créativité. Au contraire, le deuxième modèle met l’accent sur les points communs de tous les êtres humains, pour dire qu’en fin de compte, nous pouvons être pareils. C’est pour cela que, comme nous l’avons mentionné précédemment dans les notes de bas de page, il est interdit de faire un recensement ethnique en France. Résultat : l’ethnie est un concept qui existe mais reste pourtant non reconnu en France. Cette idée et sa contradiction se présentent bel et bien dans Les Olympiades : il est sûr et certain que ce quartier d’immigration représente la diversité de Paris. C’est la raison pour laquelle il est considéré comme différent du quartier latin, par exemple. En revanche, le film se prive d’une discussion sur la diversité pour rejoindre l’idée de « l’assimilation » de la société française mainstream. Cela peut être interprété comme la conviction personnelle du réalisateur ou une tendance collective de la société française comme résultat de la politique. Cette stratégie politique n’est pas notre enjeu ici. Toutefois, il est nécessaire d’ajouter ce film très récent dans notre discussion, car cela ouvre une nouvelle perspective sur le multiculturalisme à la française. Tout bien considéré, nous faisons valoir que le Chinatown parisien représente le côté multiculturel de Paris, bien que l’interprétation de cette multiculturalité varie ou évolue. Chinatown permet d’illustrer la diversité ethnique et culturelle de Paris au cinéma, et ouvre cette discussion sur le multiculturalisme à la française. Cette diversité, dans certains cas, est considérée comme quelque chose que nous devons apprendre, ou au minimum connaître. Il s’agit plutôt de la pensée cosmopolite. Dans d’autres cas, nous pouvons et devons la négliger, ceci correspond plutôt à l’universalisme.[7]

Finalement, nous devons noter les limites de cette étude : c’est une étude qui se focalise seulement sur un regard, celui du grand public français, que le cinéma commercial met en évidence pour s’adresser à un public le plus général possible. Bien sûr, le quartier de Chinatown représente bien d’autres choses pour d’autres publics. Pour les habitants immigrés du quartier, Chinatown est leur résidence qui représente leur identité culturelle ; pour les Chinois qui résident ailleurs dans la région parisienne, c’est un lieu de service indispensable dans la vie et un remède à la nostalgie. Cela pour dire que cette étude se limite à un seul regard sur le quartier. Mais le quartier du triangle de Choisy est beaucoup plus compliqué, car tous ces regards cités plus haut se croisent et dialoguent entre eux. Pour l’instant c’est un sujet malheureusement très peu traité. Cependant nous voyons la forte potentialité des images du triangle de Choisy, de la dalle des Olympiades pour le cinéma français. Pour le moment, nous pouvons déjà dire que le Chinatown parisien est une icône qui représente la multiculturalité de Paris. À la suite de ces films, dans les décennies qui viennent, nous verrons si Chinatown continue à représenter un «ailleurs» par rapport à Paris ou une partie assimilable pour la société mainstream. Autrement dit, les images de ce Chinatown nous permettront d’observer la perception sur la multiculturalité dans la société française.

 

Références bibliographiques

 

Pan Yue, née en 1992 en Chine, est doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, actuellement chercheuse invitée à Columbia University, spécialisée en études culturelles et en cinéma. Sa recherche porte notamment sur les images de Chinatown et des Sino-Américains dans les films américains contemporains. Ses publications principales sont : Vulnérabilité et Complexité : Hong Kong, la ville du futur dans les films de science-fiction américains récents (à venir au printemps 2023) ; Model Minority: Embarrassing difference or proud identity? 2021, IAFOR conference journal ; Réexamination des thrillers chinois des années 1930 : The Phantom Love (en chinois), 2016, Yingbo: Yingxiang, Vol. 04/2016. En parallèle de sa recherche, elle travaille également comme scénariste pour la série télévisée et le cinéma chinois.


Notes

[1]. À l’exception de très peu de marchands et d’étudiants étrangers, les premiers immigrants chinois aux États-Unis étaient tous paysans ou pêcheurs venant des cinq villages de Guangdong (connus comme « 五邑 (wuyi) » en Chinois.). [↑]

[2]. Cette population est, en général, composée par deux groupes d’immigrés de l’ancienne Indochine, l’un est celui des étudiants que la France a accueillis pendant la guerre du Viêt Nam avant 1960 et la guerre civile ; cette population compte plus de 20 000 personnes. L’autre est le groupe de réfugiés que la France a accueillis depuis 1975 ; cette population compte plus de 150 000 personnes. Ces deux groupes d’immigrés ainsi que leurs descendants forment la principale diaspora de l’Asie du Sud-Est en France, dont la majorité vit dans la région parisienne. [↑]

[3]. C’est grâce au travail de Michelle Guillon, géographe française, que nous avons pu obtenir cette description quantitative sur la population d’origine asiatique présente en France et notamment dans la région parisienne. Cette géographe a recuilli des statistiques issues de recensements réalisés par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) et de ses recherches personnelles. Notons que, à l’inverse des États-Unis et du Royaume-Uni où les recensements ethniques sont régulièrement réalisés par le secteur public, un tel recensement est interdit par la loi en France, selon la décision n° 2007-557 du 15 novembre 2007. Par conséquent, il n’y a pas de statistiques récentes que nous puissions utiliser. Quant aux anciennes statistiques, elles datent de l’époque prénumérique et manquent d’exactitude. Néanmoins, cela nous permet d’avoir un état descriptif de la population asiatique en France au cours de la seconde moitié du XXe siècle. [↑]

[4]. Les vrais quartiers des immigrés de la République Populaire de la Chine sont plutôt celui des Arts et Métiers et de Belleville. [↑]

[5]. La municipalité du 13e arrondissement s’engage vraiment dans la promotion de « Chinatown ». Chaque année, il y a un concert du nouvel an chinois qui a lieu à la mairie du 13e, sans parler des danses des lions qui ont toujours lieu sur le Parvis de la mairie, ainsi que le défilé du nouvel an chinois, … [↑]

[6]. Le qipao est un vêtement féminin chinois traditionnel. Il s’agit d’une tunique avec un col scindé. [↑]

[7]. En ce qui concerne la différence entre le cosmopolitisme et l’universalisme, nous adhérons à l’interprétation de David Hollinger qu’il a présentée dans Postethnic America : « Cosmopolitanism shares with all varieties of universalism a profound suspicion of enclosures, but cosmopolitanism is defined by an additional element not essential to universalism itself : recognition, acceptace, and eager exploration of diversity. Cosmopolitanism urges each individual and collective unit to absorb as much varied experience as it can, while retaining its capacity to advance its aims effectively. For cosmopolitans, the diversity of humankind is a fact: for universalists, it is a potential problem ». [↑]