Introduction : L’identité comme multiple
DOI :
https://doi.org/10.7203/HYBRIDA.4.24739Résumé
« Le trait commun à toute chose est que tout est multiple ». Badiou, A. (2021). Alain Badiou par Alain Badiou (p. 79). PUF.
Au cœur de notre contemporanéité, les interrogations sur notre identité marquent le rythme d’une construction qui n’est jamais sur le point de se figer, mais précisément pensée à travers les aléas de l’histoire et dans le bourbier des genres, des genres littéraires et, en particulier, des genres humains. Ce nouveau dossier de la revue HYBRIDA. Revue scientifique sur les hybridations culturelles et les identités migrantes, que nous coordonnons depuis l’Amérique latine, invoque précisément les modalités, les nuances et les significations autour de l’identité comme concept transculturel.
En guise d’évocation augurale, nous voudrions mettre en exergue le regard très singulier sur les préoccupations politiques et humaines qu’incarnent l’œuvre et la figure de Jean Genet, sa grande littérature, mais également son travail d’action ou d’intervention sur le réel, sous l’égide de l’identité comme mutation ontologique inhérente à l’être. Cette ouverture politique et humaniste pourrait bien nous servir à trouver une cohérence dans la panoplie d’articles qui composent ce dossier ; comme si notre situation actuelle était déjà traversée, en quelque sorte, par les pressentiments genétiens, de nature transidentitaire, sur les ambivalences qui nous constituent et l’urgente nécessité de briser les archétypes et les stéréotypes à la recherche d’une réalité plutôt hétéroclite, d’identités multiples, en tension, au sein de leurs différences assumées.
La condition identitaire revisitée pourrait donc être l’une des hypothèses à trouver dans ce dossier consacré à passer en revue, sous le titre d’IDENTITÉ/S, les auteur·e·s et les textes qui, abordant la question de manière hélicoïdale, tissent ce vaste rhizome. Contre « la nuit de l’esclavage » s’élèvent la rhapsodie antillaise et les contre-épopées que Mohamed Amine Rhimi analyse dans l’œuvre d’Édouard Glissant, comme l’une des manières de revendiquer une identité anéantie s’incarnant non pas dans un destin personnel mais dans un cadre communautaire. Séverin N’gatta nous démontre que la déconstruction d’un mythe tyrannique permet de lire dans les formes artistiques comment nous vivons dans un monde où les êtres hybrides prolifèrent et, bien souvent, reproduisent et multiplient les distorsions qui nous éloignent de la vérité. Claire David accorde toute sa place à la notion d’entre-deux dans l’écriture « migrante » de Fatima Daas, du point de vue linguistique, et spatial également, comme figuration des identités à l’image d’une pendule dont l’oscillation multiplie l’accentuation de la « quête identitaire ». Celle-ci est étudiée et déployée dans ses fractures, ou plutôt dans la construction définitive d’un sujet interstitiel régi par des paramètres relationnels qui sont, de nos jours, à la base de nos subjectivités toujours en transit. Dans l’article de Rolph Roderick Koumba, le concept nodal de frontière et les pièges du « fétichisme identitaire » réapparaissent à travers des postulats qui, célébrant l’itinérance et la condition transnationale, permettent l’apophthegme que les identités culturelles sont toujours en perpétuelle construction. Suivant ce mouvement de pensée, María Rodríguez Álvarez analyse trois productions audiovisuelles où la « banlieue » apparaît comme espace primordial pour rendre visibles les tensions identitaires se matérialisant dans les dichotomies dominant/dominé et dedans/dehors.
Dans l’article de Rym Kheriji, la « réappropriation de soi » nous renvoie à son tour à des formes territoriales à partir desquelles l’on peut imaginer les localisations et les déplacements d’un paysage social. C’est ainsi que l’identité, ou plutôt la perte d’identité, nous est montrée sous son angle le plus complexe et contradictoire. Mourad Loudiy étudie l’expérience migrante à la lumière des constructions identitaires comme un « tiers-espace » qui fait surgir l’Autre, comme une (re)sémantisation qui offre une instance d’altérité conçue presque comme une membrane. L’article de Manuela Nave, suivant une méthodologie d’analyse comparée entre l’écrivain mexicain Carlos Fuentes et l’écrivain antillais Édouard Glissant, montre bien que la littérature offre une possibilité cosmopolite de reconfigurer de nouvelles limites, plus fluctuantes, circonscrites aux seuls bienfaits de l’interculturalité. Blanche Turck explore l’univers de la poésie à partir de la notion problématique de « sujet lyrique », trop englobante, voire généralisante. En effet, ce concept tient difficilement compte du nouveau statut des voix poétiques dans la poésie contemporaine, peuplée de présences transgenres, de polyphonies et de lyrismes relationnels. Le dossier se clôt sur l’article de Fanny Martín Quatremare qui étudie les pèlerinages d’Alexandra David-Neel où le voyage devient sans aucun doute une expérience spéculaire. Ainsi, le contact avec l’altérité pose à l’auteure des interrogations identitaires et des interpellations existentielles, comme dans un miroir déformant et révélant à la fois le reflet de soi.
Nous vous invitons donc à une expérience de lecture polyphonique sur les IDENTITÉ/S qui nous permette de remettre en question nos a priori donnant accès à des univers d’ouverture et d’échange afin de raviver nos parcours personnels et nos mémoires collectives, de plus en plus hybrides et multidimensionnels.
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